In These Words

Un doujinshi, publié ensuite dans un magazine de prépublication japonais, dessiné par deux taïwanaise, qui habitent toutes les deux aux États-Unis, voilà un profil pour courant pour une œuvre ! Mais où le classer dans nos rubriques, entre yaoi, manhua et émules ! J’opte pour les manhua, comme nous privilégions en général la nationalité des auteurs et autrices.

J’avais entendu parler de ce doujinshi/manga/manhua il y a quelques années, ayant vu ses visuels fort alléchants circuler sur la toile, sans toutefois m’y attarder. Aujourd’hui, après être retombée dessus par hasard, je me lance dans le tome un sur un coup de tête et, comme dirait Yuki de BL Métamorphose, bonté divine o_O !

Le manga commence avec une introduction littéraire, ponctuée de petites illustrations, laconique et des plus efficaces. En quelques mots, on plante le décor, expose les enjeux, nous présente la personnalité du héros et de… son agresseur. Et aussitôt après, quand commence la phase dessinée, on assiste à un brutal viol du héros. La représentation, crue, ne laisse pas de place au suggestif et montre sans détour les sévices que Katsuya subit. Une entrée en matière renversante avant que tout à coup, le héros de se réveille de ce cauchemar.

À partir de là, In These Words déploie tout un jeu psychologique et un mystère quant à la vraie nature de ces visions, portés par les échanges entre Katsuya, rationnel et posé, et Keiji, aussi fanfaron que sadique. Les visions de ses tortures sexuelles viennent-elles d’une empathie avec les victimes du tueur qu’il interroge ? Appartiennent-elles au passé ? Constituent-elles des presciences d’un sombre sort futur ?

À mesure que des informations se dévoilent, sporadiquement, s’intensifient également les cauchemars de Katsuya. Des scènes tout aussi cruelles qu’érotiques, avec ce mystérieux tortionnaire à la plastique de rêve, tout comme le héros. La dessinatrice, qui a de la bouteille, nous fait la démonstration d’un magistral métissage de patte graphique, entre sa carrière dans le comics et sa passion simultanée pour les mangas. Le character design suit parfaitement des canons du yaoi, mais bien plus charnels de par leur gabarit et la gestion des ombres. La qualité du dessin, au-delà de l’érotisme, est excellente, tout comme la composition et la force narrative de chaque planche. Évidemment, dans une optique d’esprit critique, on peut observer que l’effet du manga aurait été totalement autre si ces personnages n’avaient pas été si séduisants. Ne cherchons pas non plus midi à quatorze heures, le but du manhua demeure tout autant de représenter du fantasme malsain, servant pareillement l'aspect terrifiant de l'histoire  ; difficile à envisager avec des personnages repoussants. Cependant, on ne saurait réduire cette histoire à cette seule finalité.

Comme tout polar qui se respecte, In These Words développe tout aussi bien la psychologie des personnages, au cours de cet interrogatoire, bien sûr de Keiji, qui décrit avec un malin plaisir son mode opératoire, ses motivations à tuer, ses états d’esprit etc. De plus, dans sa rudesse et sa malignité, finit par se dégager un charme certain de lui, voire une empathie paradoxale qui illustre parfaitement de syndrome de Stockholm, pour le penchant psychologie du scenario ou le cliché du viol romantique, récurrent dans les yaoi.

L’échange téléphonique entre Katsuya et Kizaki apporte même une touche de critique politique, où Kizaki déplore son manque de moyens le poussant à expédier des enquêtes.

Avant de commencer ma lecture, je m’étais préparée à simplement qualifier In These Words de simple exutoire de fantasmes pseudo-dark en exhibant deux ikemen sous toutes leurs coutures, tel un penchant Yaoi d’un Cinquante Nuances de Grey (partant bien sûr de gros a priori, ne l’ayant ni vu ni lu). Je me suis ravisée instantannément. La lecture sera clivante, ça passe ou ça casse. Mais quand ça passe, le manhua fascine dès les premières pages, tout en nous intriguant ensuite par son saisissant côté thriller.
Les tomes sont simplement marqués discrètement "pour public averti" alors qu’ils devraient être clairement interdit aux moins de dix-huit ans. Avec un début si percutant, j’ai toutefois peur que les événements à venir s’essoufflent, chose qui se profile un peu avec le tome 3. 

Hanoko, tome 1 lu et relu, le 17/06/2020