Homme qui tua Nobunaga (L’) — L’histoire de Yasuke le samouraï noir

Avis

L’époque Sengoku est sans aucun doute celle qui nourrit le plus de fictions d’Histoire du Japon et, j’imagine, qui a fait couler tout autant d’encre dans la sphère des chercheurs historiques. Ce manga est particulier puisqu’il nous propose la vision d’un historien qui se revendique de la lignée d’Akechi Mitsuhide vassal d’Oda Nobunaga, communément qualifié de félon pour l’avoir tué. Cependant la vérité n’est pas si simple.

Le manga commence par sa fin. Tout d’abord l’écrivain, qui se met en scène dans le manga défendant son projet de publication où il décrit que l’histoire véridique diffère des récits habituels. Ensuite l’issue fatale, après que Mitsuhide a trahi Nobunaga. Puis retour aux sources sur l’ascension sociale de Mitsuhide, parvenant au service de Nobunaga.

Ce choix de narration a, je suppose, pour but d’accrocher le lecteur en lui montrant des moments clefs et des répliques coups de poing, afin de planter le décors et annoncer que tout va être renversé. N’ayant lu aucun écrit historique sur le sujet (à part des morceaux de wikipédia çà et là), ne connaissant cette période que grâce à des fictions, je ne pourrai porter de jugement sur l’exactitude historique et me concentrerai sur le récit. Le préambule montrant une scène de comité d’édition en 2016 est plutôt sympathique, mais il est un peu dommage qu’on embraye aussitôt après sur la mort de Mitsuhide, on se sent comme spoilé. Même si on connaît les grandes lignes des événements quand on a parcouru cette période historique, on a l’impression que l’auteur nous livre dès le début la clef de l’histoire, ce qui gâche un peu l’intérêt de la lecture. Je conseillerais donc de sauter le chapitre un pour pleinement apprécier le manga.

En effet, quand les auteurs décrivent ensuite le parcours de Mitsuhide, le manga se révèle très intéressant et prenant à lire, car c’est une période riche et fertile en histoires à narrer. Mais aussi parce que l’on voit bien que le manga propose une vision différente de ces figures historiques, en particulier pour le moment Nobunaga, présenté comme juste malgré sa fermeté. On est vraiment plongé dans l’ambiance, grâce aussi à de superbes dessins. L’auteur fait preuve d’un très grand souci du détail, tout en rendant vivant son manga et en donnant de l’impact à chacune de ses pages. J’aime particulièrement l’excellent travail de physionomie et de faciès, qui permet de rendre mémorables chacun des personnages. Souvent dans les mangas historiques à style semi-réaliste, on se mélange assez vite entre les personnages, mais là, même revêtus de leur armure, on les reconnaît tous sans peine. Bref, la grande classe. En revanche, les antagonistes de l’histoire se révèlent légèrement caricaturaux, comme Toyotomi Hideyoshi, Ashikaga Yoshiaki, les moines du temple Enryakuji. On sent le parti pris  ;)

Cependant, le rythme s’accélère de plus en plus, si bien que le dernier chapitre du tome un paraît très expéditif tant il semble sauter de nombreuses péripéties et faire l’impasse de beaucoup de passages. Un manque de références historiques à ce sujet que les auteurs n’ont pas voulu combler par de la romance ? Ou bien la suite redéveloppera cet aspect ? C’est dans ce chapitre qu’est présenté le personnage de Yasuke. Il est surprenant que Delcourt ait ajouté le sous-titre "L’histoire de Yasuke le samouraï noir", car sa part de rôle dans le manga ne prédomine pas pour le moment, rien qui vaille de le mettre en valeur autant que Mitsuhide et Nobunaga, éléments centraux de l'intrigue. Est-ce un petit écho marketing à la bande-dessinée Kurusan, le samouraï noir, parue peu avant ? D’autant que ce sous-titre donne l’impression que ce serait Yasuke qui a tué Nobunaga et que ce serait Nobunaga représenté sur la couverture du tome un ! Nous verrons par la suite l’importance que Yasuke prendra dans le manga.

Un manga donc très intéressant malgré une chronologie parfois un peu déroutante, superbement dessiné. On perçoit bien le point de vue orienté du récit, l’auteur défend son écurie, mais cela ne n’empêche pas d’apprécier de lire une autre vision de cette période historique. À nous de faire la part des choses ensuite si nous souhaitons adopter une démarche d'étude historique.

Hanoko, deux tomes lus le 17/02/2021