Toyota, l'usine du désespoir, journal d'un ouvrier saisonnier
Dans Toyota, l'usine du désespoir, on va suivre Satoshi Kamata, journaliste, qui va entrer dans les entrailles de Toyota, modèle de la quintessence industrielle japonaise dans ces années 70.
Avis
"Sur ShoShoSein, on ne chronique pas que des romans, et pas non plus seulement des textes sur ou de Mao. Non, on aime la diversité, on regarde ce qu'il se passe de l'autre côté de la mer : la condition ouvrière japonaise (et forcément très syndiquée, sinon c'est pas marrant). A vrai dire je fais une étude sur Toyota, donc vous allez découvrir cette firme sous tous les angles : prolo, économique, managériale, mais aussi sous l'angle de la sociologie des organisations. Bref je vais joindre l'utile (pour le site) à l'agréable (pour moi). Ah ah !
Sur ces entrefaites, un petit mot sur l'édition. Ce livre date de 73, et a été publié en 76 dans la collection « Rencontre des peuples » ce qu'il faut comprendre quand on lit dans l'introduction du traducteur par "révolution internationale". Tout un programme. Ca blaguait pas dans les années 70. Le traducteur étant basé au Japon, on peut s'attendre à un texte de qualité.
Ce n'est pas un témoignage innocent non plus, mais celui d'un militant, qui a également à son actif en Français : Japon : l'envers du miracle (que je lirai également), qui sur le même thème, analyse plusieurs cas. L'auteur est allé faire un reportage sur Toyota, en observation active ou participante comme on dit aujourd'hui. Bref il a une dent contre le système. Ca sera notre principe de précaution et se sera d'autant plus intéressant de confronter notre lecture avec d'autres livres sur le même sujet mais qui l'aborde de façon différente.
Et tout de suite la lecture est prenante, on pourrait le lire comme un roman, car c'est un journal, on suit ''l'aventure'', le témoignage de Satoshi Kamata au jour le jour. Si je devais parler de roman, ou de manga (le point de départ m'a fortement rappelé Rainbow, étant donné que tous les personnages se retrouvent dans la même cellule, pardon chambre collective, d'autant plus que les forces d'autodéfense sont synonymes d'espoir de carrière, c'est vraiment le même type d'ambiance). On va suivre la condition de petite gens, des ouvriers, et on va entrer dans les entrailles de Toyota, modèle de la quintessence industrielle japonaise. A quel prix ? nous demande le traducteur.
De part sa forme de journal, et sa volonté de nous expliquer, le livre est très pédagogique, on rentre bien dans l'ambiance. Le livre rappelle Stupeur et Tremblements sur le même sujet et le même rythme (l'embauche, la hiérarchie, le départ, sauf qu'on ne connaît pas la vie privée de Nothomb et qu'ici ils n'en ont pas). Le travail à la chaine on en entend beaucoup parler, mais nous autres jeunes génération on ne connaît pas vraiment (en tout cas les petits privilégiés comme moi planqués en fac) et mis à part les Temps Modernes, on est démuni face à la question. Là on se mange du travail à la chaîne en pleine face.
On retient de ce livre des conditions de travail des ouvriers Toyota : déplacement jusqu'à l'usine à pied (les dortoirs ne sont pas trop loin), travail sans une seconde de répit, pas le temps de penser à autre chose qu'à la fin du travail, manger vite le midi, de façon mécanique (comme si on était toujours sur la chaîne, travail à nouveau, trajet, bain, repas, mort de fatigue, dodo tout de suite, pas le temps de faire autre chose (sauf le weekend mais souvent il y a des heures sup', le temps restant sert à se reposer.)
Et la méthode Toyota quelle est-elle ? En ce début d'années 70 pour augmenter la production on peut soit augmenter la vitesse de la chaîne, soit augmenter le nombre de d'équipe, soit augmenter le nombre d'heure de travail (heures sup). Ainsi l'objectif est purement quantitatif (produire plus que les autres) et passe avant la qualité (postes de vérifications sont supprimés) ou la sécurité (vieilles machines), ce qui provoque des accidents de travail, et des voitures pas fiables (il survient quelques accidents pour causes mécaniques, qui s'ajoutent à tous les accidents de la route).
Au début du livre il est marrant de voir les notes du traducteur qui nous explique ce qu'est un kotatsu, un pachinko etc. Certaines notes sont tout de même bien utiles pour comprendre les allusions ou nous présenter des personnes bien connues à cette époque (éditorialiste...). Une fois dans un rythme de croisière, on se retrouve avec des problèmes plus philologiques : il est intéressant de voir avec ce livre datant des années 70, l'évolution du français, et l'évolution de la traduction du japonais. En effet p. 218, l'auteur fait une note sur l'expression « travail noir » en disant que l'auteur utilise le mot arbeito pour dire travail au noir. Ceux qui lisent des mangas mettant en scène des étudiants, savent normalement que le mot d'arbeito veut dire petit boulot (peut être que les petits boulots étaient au black il y a 30 ans), que l'on appelle aussi freeter (free arbeiter). L'auteur dit que ça n'a pas de traduction, parce qu'il n'y a pas de mot pour « décrire cette réalité », en effet le travail au noir est par principe illégal donc ça n'existe pas. C'est logique. Aujourd'hui, on ne s'ennuie plus à traduire "arbeito", on le laisse tel quel.
Concernant l'évolution du français, on ne dit pas ''travail noir'', qui peut se confondre avec le travail des noirs, mais travail au noir (mais peut être étymologiquement les mots sont liés) en tout cas c'est plus politiquement correct. En japonais on n'utilise pas ce mot de ''noir'', mais on dit "travailleur sans droit" (fuhô shurosha). Bref c'était pour l'anecdote, et pour réfléchir au travail et à sa représentation.
Un récit passionnant pour quiconque s'intéresse au Japon. Certes l'angle d'approche n'est pas très racoleur (la misère ouvrière dans le milieu ouvrier dans les années 70), ni aussi ''sexy'' que le bouquin de Nothomb, ni littéraire, mais le texte est très fluide, ça se lit vite, et avec plaisir."
Docteur Spider, dévoré en quelques jours, 26/10/07
"Je reviens sur mon article à l'occasion de la republication de Toyota, l'usine du désespoir chez Démopolis.
On pourrait croire que le livre bénéficie d'une nouvelle traduction car le nom du traducteur est différent d'une édition à l'autre, pourtant le texte est le même au jugé des notes que j'avais prises sur l'édition ouvrière. La clef du mystère : Jean-Louis Folgoët semble être le pseudo d'André L'Hénoret.
J'en profite pour revenir sur la note sur le travail au noir, celle-ci a tout de même été actualisée. Le titre de la page (p220-221) est "Arubaito : "les petits boulots"", qui renvoie à cette note "Le terme arubaito, emprunté au mot allemand arbeit (travail), désigne tout travail occasionnel, par exemple le travail que font les étudiants pour subvenir aux frais de leurs études. Ici, le sens est celui d'un travail accompli en plus de on travail habituel", et ensuite Satoshi Kamata est traduit ainsi : "Nombreux aussi sont les titulaires qui font du travail arubaito". Ca fait un peu redondant... Bon, je me permet encore d'être pointilleux, je ne connais pas le japonais, et je ne suis pas traducteur et je connais encore moins la réalité de l'arubeito au Japon, mais je me permets quand même
Dans la préface faite à l'occasion de cette nouvelle édition, Paul Jobin revient sur le contexte français de médiatisation furtive des suicides sur le lieux de travail, l'actualité des constats de Kamata, le toyotisme, et la relation précarisation de l'emploi/sous traitance. Cette préface est vraiment la bienvenue pour bien se mettre dans le bain et saisir en peu de pages l'enjeux de ces problèmes de société.
Cette nouvelle édition est vraiment la bienvenue, et je ne serai trop vous conseiller de la lire. Un livre toujours d'actualité, malheureusement."
Docteur Spider, 19/06/08
Voir aussi : Esprit Toyota (L') pour entendre la version du créateur du modèle
La même opération militante, la même année, vu du côté français : Kashima Paradise
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