Mémoire interdite - Témoignages sur la révolution Culturelle au Tibet
"Au Tibet, plus qu'en Chine, la Révolution culturelle n'a rien laissé debout. Mais le vrai désastre est ailleurs : comment les Tibétains ont-ils pu prendre part à la destruction de leur propre culture? Tsering Woeser montre toute la difficulté à penser la culpabilité tibétaine engendrée par la révolution chinoise. Les vingt-trois témoignages réunis dans ce livre sont exceptionnels parce qu'ils évoquent sans réserve cette époque volontiers qualifiée de "délirante". "
Avis
"Mémoire interdite. Témoignages sur la Révolution Culturelle au Tibet est un livre paru en version originale pour l'anniversaire des 40 ans du début de la Révolution Culturelle (1966-1976).
L'auteure, Tsering Woeser, est une poétesse tibétaine et fille d'un photographe ayant couvert les évènements. Elle a interviewé 70 personnes entre 2001 et 2003. Suite à une courte introduction le livre présente le témoignage de 23 acteurs de cette époque troublée : chef des rebelles, simple habitant, maillon de l'armée, la mère de l'auteure alors enseignante, moine communiste... Tibétains, Hans et même Hui.. . sous leur nom ou sous couvert d'anonymat... nous racontent comment ils ont vécus ces évènements, ce dont ils se souviennent. Elles sont présentées les unes à la suite des autres, sans commentaire de l'auteure (on la sent juste par ses questions et ses relances). Du coup c'est au lecteur de se faire son propre avis au fur et à mesure. A nous de confronter les points de vue.
La Révolution Culturelle (RC) au Tibet, s'est déroulée un peu comme dans le reste de la Chine : Suite à une directive venue de Pékin le 16 mai 1966, tout le monde se met en branle : création des Gardes Rouges au lycée de Lhassa (puis dans toute la région, dans les écoles et entreprises), qui partent en guerre. D'abord contre « les 4 vieilleries » (coutume...) : on commence à violenter tout ce qui a trait au passé précommuniste (religion, système féodal, mais aussi ''art bourgeois''). Puis dans une seconde phase on fait des procès publics aux cadres dirigeants « engagés sur la voie capitaliste ». Les Gardes Rouges (GR) sont rejoints par ceux du reste de la Chine en août, dans le cadre des « échanges révolutionnaires ». Bien qu'ils se réclament tous des directives de Mao, les GR ne sont pas d'accord entre eux sur les tâches de la révolution. Ils se divisent en deux groupes, qui prennent le nom de Commandement de l'Union pour ceux qui défendent les cadres dirigeants, et ceux qui sont contre se font appeler Groupe Rebelle. La guerre des mots (1967) fait ensuite place à la guerre armée ( 1968 ). Celle-ci fait beaucoup de morts. L'armée et derrière elle la direction du PCC intervient pour mettre un terme à ce foutoir. Les GR sont fusionnés dans le « Comité Révolutionnaire ». On envoie les jeunes se faire « rééduquer à la campagne » (1969 et années suivantes).
Le livre nous permet de nous rendre compte qu'il n'y a pas un point de vu unique sur l'évènement, mais une multitude. Pour ne prendre qu'un exemple, la version officielle du PCC consiste à dire que ce sont les Tibétains eux-même qui ont participé aux saccages des temples, qui ont battu les moines etc. Pour le gouvernement tibétain en exil, ce sont les Hans (les chinois de l'intérieur du pays), certaines photos de lycéens posant devant le Jokhang (centre spirituel de lhassa) étant là pour le prouver. L'auteure interroge chacun sur ces versions des faits. Il y a consensus pour dire que tout le monde y a participé : Tibétains, Hans, mais aussi étudiants tibétains partis étudier en Chine (revenus au pays sous le nom de « Gardes Rouges de la capitale », expression qui peut faire entendre qu'il s'agit de Hans). Ce conflit des versions, est un enjeux politique immédiat car les tensions interethniques se font de plus en plus sentir au Tibet (les émeutes « anti Hans » de 2008 sont là pour nous le rappeler). Chacun des protagoniste insiste pour dire qu'à l'époque tous étaient unis contre les exploiteurs. Il y avait des divisions de classes, pas ethniques.
Temples saccagés (transformés en porcherie), chasse aux sorcières (bouddhistes) dans les villages, les maisons; individus torturés, battus à mort. Guerre entre « factions » opposées, mais toutes fidèles à Mao. Comment une telle folie a-t-elle pu se produire ? Qui est responsable ? Il y avait d'une part un fort maillage du PCC, l'endoctrinement. Ce qui ne veut pas dire que les acteurs n'étaient pas conscients de ce qu'ils faisaient, mais la menace de la répression était plus forte que les croyances religieuses. D'autre part la religiosité était en recul depuis 1959 avec la fuite du Dalaï Lama et la début de l'expropriation des seigneurs féodaux (temples, aristocratie). Enfin certains en profitent pour mettre à bien leurs projets personnels : pillage pour s'enrichir, vengeance, insurrection anticommuniste (nonne de Nyemo). Là aussi la façon dont chacun a vécu les évènements et agit dans le présent joue dans la façon dont le récit est raconté :ceux qui insistent pour dire que les gens ne savaient pas ce qu'ils faisaient, prechent en fait pour la réconciliation et le pardon. Les militaires étaient sensés être neutres. Jamais ils n'avoueront avoir donné des armes aux deux camps (ou bien il s'agit de la responsabilité d'individus isolés). Pourtant les GR témoignent du contraire. C'est toujours les autres qui ont commis des atrocités : un tibétain ayant étudié à Pékin nous explique qu'il était revenu dans les premiers à Lhassa, mais que grosso modo il s'est contenté de lire des dazibao. Il n'a violenté personne, n'a rien cassé. Ainsi la moitié des témoignages sont anonymes. Si on met en avant le rôle des jeunes scolarisés pendant la RC, c'est pourtant toute la société qui y a pris part, et elle a laissé des traces, des blessures chez tous. Aujourd'hui, la culpabilité semble dominer, beaucoup des anciens acteurs sont des gens très croyant (boom des pélerinages etc.)
L'édition française de Mémoire interdite. Témoignages sur la Révolution Culturelle au Tibet est agréable (format, papier, taille des caractère). Ce qui en fait d'autant plus un ouvrage de qualité, qui vient combler un vide scientifique."
Docteur Spider, 19/04/11
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