Bouddhisme et violence
Parce que les bouddhistes ont fait de la non-violence leur marque déposée, le rapport compliqué voir ambigu de cette religion à la violence pose question. Mais qu'en est-il vraiment?
Avis
"J'étais tombé sur ce livre en parcourant les rayonnages de ma librairie favorite. L'approche avait l'air vraiment très stimulante : au delà de l' idée reçue, celle du bouddhisme comme religion ou philosophie de paix et d'amour ("non-violence"), quel rapport entretien le bouddhisme et la violence ? L'auteur cite en introduction qu'il ne faut pas oublier que les tigres tamouls sont bouddhistes, tout comme les moines shaolin (moi qui suit pourtant fan de film de kung fu, je n'avais jamais fait le rapprochement). A partir de là, quelle va être l'approche de l'auteur ? Montrer que le bouddhisme est violent dès sa doctrine de départ ? Ou dans ses applications concrètes en fonction des situations politico-économiques ?
L'introduction de Bouddhisme et violence liste un peu tous les cas : violence philosophique / doctrinale, violence symbolique via mythologie / iconographie / rituels / sermons, culture de la peur, violence de l'institution propre au système monastique. Autant de cas de figures, autant de chapitres.
L'auteur, Bernard Faure, commence par montrer comment est traitée la violence dans la doctrine, ou plutôt, les doctrines. Ainsi on balayera le Japon, la Chine, l'Inde, le Tibet, à travers le temps et les différentes écoles : bouddhisme du "petit véhicule", du "grand", bouddhisme tantrique, et les dizaines de sectes adjacentes. Ainsi le livre est très très riche en exemples.
L'auteur montre qu'au final, la violence est théorisée comme "mal nécessaire". En bon bouddhiste, dans certains cas, il faut avoir recours à la violence : pour exorciser quelqu'un, pour défendre le monastère...
Un des chapitres central pour comprendre d'où viennent les différences d'appréciation est celui intitulé "Bouddhisme, société et politique" (page 49 à 79). On comprend par exemple que toutes les théories du grand véhicule justifiant le meurtre, et celle plaçant les moines au dessus des laïcs, sont des traits typiques d'un clergé cherchant à justifier sa violence pour maintenir sa domination. Une petite illustration stimulante : ceux qui ne payent pas les taxes du monastère sont qualifiés "d'ennemi du bouddhisme", ce qui autorise à leur faire violence.
Le chapitre consacré aux animaux est fort stimulant. L'auteur réussit à percer les théories et discours, pour y voir la défense de la filiation et de la propriété privé. En effet toutes les conceptions renvoyant l'animal à un possible membre de la famille (via réincarnation karmique), vise non à défendre les animaux mais à défendre l'institution familiale. De même pour l'interdiction de tuer les animaux sur un territoire donné, qui est avant tout la confirmation du pouvoir sur le lieu par le souverain du coin.
Dans le chapitre socio-politique, on comprend que les bouddhismes s'adaptent à leur condition d'existence. Ainsi le bouddhisme du Tibet : D'essence féodale, il est obligé dans sa lutte contre la Chine et de part le caractère apatride du Dalai Lama (l' "internationaliste"), de parler de droit de l'homme, de démocratie, ce qui n'est pas sans créer des dissensions internes chez les moines.
Du coup, le world bouddhisme que nous vend le Dalai Lama, non violent etc. à quoi correspond-il ? J'apprécie l'hypothèse de Slavoj Zizek qui dit que le zen est le complément d'un capitalisme débridé, les gens apprennent à rester à leur place, à méditer. Pendant le ce temps là les patrons peuvent exploiter sans vergogne.
Un des déterminants sur le positionnement sur la violence, outre la propriété, va être le rapport entre bouddhisme et Etat (monopole de la violence légitime) : en effet si le bouddhisme se considère dans ou hors la société, cela change son rapport au pouvoir et donc à la violence. Idem si le bouddhisme est religion d'état.
Au final le bouddhisme contribue à naturaliser la violence lorsqu'il y voit un effet du karma de l'individu qui la subit, plutôt que la responsabilité morale de l"individu ou la collectivité qui en sont la source. Le livre donne le cas de Suzuki, un chef religieux, qui a justifié la politique impériale du Japon pendant la guerre, et qui après-guerre, "oublie" ses propos et dit que le bouddhisme a de tout temps été pacifique. Un bel exemple d'idéologie L'auteur souligne que ça entretient l'image d'un "japon innocent" et de la guerre comme quelque chose de naturel qu'on ne peut pas empêcher.
Les notes et bibliographie permettent de creuser tout ça, de voir ensuite sujet part sujet.
Notamment, pour le Japon, Le zen en guerre de Victoria Brian Daizen, et L'histoire des moines-guerriers du Japon de Renondeau. Pour le Tibet : les Mémoires d'un moine aventurier tibétain de Tashi kedrup. On regrettera le fait que le cas des Shaolins ne soit qu'évoqué.
Bouddhisme et violence est très synthétique, le livre brasse énormément d'idées, de faits, de chefs religieux, sans nous perdre. On saisi bien la ligne : les bouddhistes trouveront toujours un moyen de justifier la violence, même si ça doit mener à des contorsions, voir des contradictions avec la doctrine. L'essentiel est de sauver sa peau. A plusieurs reprises Bernard Faure fait le lien entre les discours du type "on vous fait violence pour votre bien" et la politique américaine en Irak ou sa lutte contre le terrorisme, le droit d'ingérence etc. En bref une lecture fortement stimulante."
Docteur Spider, 03/10/10
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