Songe du Corbeau (Le)

La couverture nous laisse entrevoir un récit poétique, enfantin et peut-être légèrement mélancolique. On se dit que cela va parler de nostalgie du passé, de moments perdus. Cependant, le corbeau étant souvent associé à de funestes idées, on pressent qu’il se dissimule quelque chose de plus sombre.

Le BD nous emmène dans une quête d’introspection, de travail de mémoire mais aussi d’enquête sur ce qui est nommé froidement des faits divers, mais qui constituent pour les concernés le bouleversement de tout une vie. À cela se mêlent des visions de l’enfance, où intervient le merveilleux. Le passé et le présent se chevauchent, brouillant les pistes et laissant beaucoup de liberté à notre interprétation, tout en décrivant un fil conducteur principal se précisant de plus en plus. La puissance narrative de cette BD nous envoûte et nous inquiète, aboutissant à une conclusion emprunte de tristesse et d’un message fort sur une face obscure trop occultée de la société japonaise.

Après, je regrette quand même que beaucoup d’éléments restent en apparence si confus voire contradictoires, notamment dans ce jeu du chat et de la souris entre Koji et Shin, nous faisant nous interroger sur la cohérence du personnage de Shin. C’est aussi cela qui fait son charme, car on se dit que son action est plus symbolique que concrète :

[collasped title=Spoil]On le voit perpétuer des crimes à la vue de Koji. La BD véhiculant la gravité de la négligence des gens en général concernant l’enlèvement d’enfants, Shin me semble continuer à commettre ses crimes sous les yeux de Koji pour le forcer à ouvrir les yeux et réagir. Koji pourrait ainsi représenter la masse silencieuse, qui ne voulait pas faire de vague et Shin la personnification du sentiment d’injustice face à l’impunité du crime commis par le coupable initial. Cependant avec cette interprétation, l’ambiguïté du rôle de Shin durant l’enfance croit par la même. Qui était-il réellement ? Était-il le fils du kidnappeur, envoyé pour surveiller les enfants enlevés, mais cherchant secrètement à les faire évader et se rendre compte dans quelle situation ils se trouvent ?

Par ailleurs, Koji a-t-il projeté sur ses codétenus l’image des enfants enlevés dont il a vu des affiches une fois adulte dans l’espace public ? À quel point son cerveau transforme-t-il ses souvenirs quand il tente de se les remémorer, puisqu’il voit dans son présent des enfants qu’il aurait connus quand il était petit ?

Le mystère reste entier.

Le style graphique semble enfantin de prime abord, avec ces personnages poupins tout rond. Cependant, ces couleurs peu chaleureuses, ces regards froids tels des poupées de porcelaine, ces yeux très petits semblent relever plus du manga d’horreur que d’enfance. On reconnaît d’ailleurs aisément l’influence de la patte graphique de Matsumoto Taiyo dans cette BD. Les illustrations demeurent réussies, même si je ne suis pas toujours fan du rendu des couleurs aquarelle, et que certaines anatomies me semblent parfois involontairement maladroites.

Une œuvre poignante, malgré un peu trop de zones de flou à mon goût. Si cette BD vous a plu, je vous conseille dans le même style Erased.