Docteur Spider – Lundi 27 novembre 2006, à 18:55

Murakami Ryu

Cet article aurait dû être une présentation orale lors du Japan Expo 2006. Finalement ça ne s'est pas fait. Vous en avez donc la primeur :

Oubliez les Mishima, les Kawabata ou les Inoue place à la nouvelle génération d'auteurs. Parmi eux, Murakami Ryu.

Le nom vous dit peut être quelque chose mais ne le confondez pas avec Murakami Haruki, autre grand romancier japonais contemporain, sans doute mieux connu du grand public (Kafka sur le rivage, etc.)
L'auteur qui nous intéresse a la particularité d'écrire des histoires très sombre, très sexe, drogue, SM et rock n' roll, il est donc déconseillé au jeune public, ou aux personnes sensibles.
Enfin, il faut dire qu'une fois par an, les Editions Picquier nous gratifie d'un nouveau roman (ou une réédition en poche) de Murakami Ryu . A ce jour, 12 livres ont été publiés, il reste encore de nombreux inédit, et nous avons de la chance l'auteur est toujours actif ! 

Plan :
I Une courte Biographie
II : Présentation de ces 3 oeuvres majeures
III Miroir de la société japonaise ou glace déformante ?
IV Les autres publications
V Murakami Ryu et le cinéma 

I Une courte Biographie

Murakami Ryunosuke est né à Sasebo en 1952, ville qui accueillait une base militaire américaine.
Il romance ses années de lycée dans 1969. Il a fait l'école des beaux-arts.
En 1976, alors qu'il n'a que 24 ans, il publie son premier roman, Bleu presque transparent, qui est un succès immédiat, deux millions d'exemplaires vendus et il obtient le très prestigieux prix Akutagawa. 

La recette : Pour vous donner une idée de ce que peux être une histoire de Murakami Ryu, repensez au film Akira : Une bande de petits voyous, bons à rien, qui ne savent pas comment tuer leur temps autrement qu'en se droguant. Plus une forte propension à la violence. Ajoutez à cela des thématiques sado-maso, et vous obtenez du Murakami Ryu ! 

II : Présentation de ces 3 oeuvres majeures :

Ce choix est bien sûr arbitraire. N'ayant pas tout lu, je vous ai simplement mis mes trois oeuvres préférées 

A / Bleu presque transparent

C'est le dernier livre que j'ai lu de lui, bien que ce soit le premier qu'il ait écrit. J'ai été surpris de découvrir que l'histoire ressemblaient un peu à celles des autres, à savoir :
Au centre, la drogue, consommée à grandes doses lors d'une fête qu'organise Ryu, le narrateur, pour les G.I américains en campement au Japon. Il y invite ses copines qui s'y prostituent.  

B / Bébés de la consigne automatique (Les)

Raconte une ascension de deux frères, frères entre guillemets, vers le pire. Le résumé des Editions Picquier en dévoile trop. Je vais essayer de ne résumer que le début du livre, en essayant de le rendre aussi passionnant que les différentes étapes des héros qui resteront gravées dans votre mémoire à tout jamais.
Comme son titre l'indique, le point de départ de l'histoire c'est un constat : des mères japonaises abandonnent leurs nourrissons dans les consignes de gare. De nombreux enfants meurent ainsi chaque année. Sauf deux cette année là. Ils vont dans le même orphelinat, et deviennent inséparables. Ils se font adopter par un vieux couple et passent leur jeunesse dans un bled paumés dans le kyushu. Seulement, les deux enfants sont toujours hantés, inconsciemment, par leurs premiers jours sur terre : cette sensation d'étouffer dans ce lieu très réduit à l'odeur si particulière, de fleur.
Au lycée, Kiku(chi) a du succès car il est le meilleur au saut à la perche. Quant à son frère Hashi il est très replié sur lui même. Se sentant exclu, et nourrissant depuis toujours l'envie de connaître sa vraie mère, il part sans prévenir pour Tokyo... Trois petits points.
On suivra ensuite leur destin en parallèle, qui se résume à une émulation par le pire. C'est le texte le plus ambitieux de l'auteur. 

C / Ecstasy, Melancholia, Thanatos

Autrement dit la trilogie qui a pour titre "Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort". Mais ce n'est pas comme je le croyais une trilogie thématique, à la façon de la trilogie de la vengeance de Park chan-wook(bien qu'étant des films, enfin le rapport au cinéma n'est pas éloigné de notre sujet comme nous le verrons). 

Je n'ai lu que le premier mais j'ai découvert que dans les deux autres, les mêmes personnages revenaient, mais occupant un degré d'importance différente.
Par exemple Ecstasy est l'histoire de Miyashita, le japonais moyen, qui s'initie à la drogue (comme le titre l'indique) et au sadomasochisme : Alors qu'il fait un reportage à New-york parmi des clochards, il rencontre un confrère japonais. Il se demande ce que fait là un japonais parmi ces clochards. Il pose la question à cette homme qui lui dit que s'il veut la réponse, il doit retourner à Tokyo et rencontrer une certaine Keiko. Cette dernière va lui parler de Yazaki, son maître à penser, et l'initier aux arcanes du sadomasochisme.
Mélancholia raconte une partie de l'histoire de Yazaki, lorsqu'il était clochard. Il se confie à une journaliste. Thanatos est l'histoire de Keiko. 

III Miroir de la société japonaise ou glace déformante ?

En voyant avec quelle insistance Murakami Ryu décrit cette société japonaise désoeuvrée et droguée, on peut se demander jusqu'à quel point cette image qu'il nous donne correspond à la réalité du Japon. 

Dès son premier roman, Bleu presque transparent, le traducteur et directeur de collection Georges Belmont , en préface, partage une anecdote : C'est un jeune éditeur japonais faisant un stage dans sa boite qui leur a conseillé ce jeune auteur. Belmont écrit "Notre jeune éditeur japonais s'était pris de violents scrupules à la pensée que, devant la traduction, les Français pourraient s'imaginer que tout le Japon est comme cela."

De même, Corinne Atlan, qui a travaillé sur quelques livres de Murakami Ryu, dans Entre deux mondes, un essai sur la traduction publié chez Inventaire/Invention, presque 25 ans plus tard, écrit ceci : 

"En France, les descriptions d'une société contemporaine décadente sous la plume d'un Michel Houellebecq peuvent susciter scandales et polémiques mais, au Japon, avec le même type de récit, Murakami Ryû est respecté, «récupéré» d'une certaine manière, par la société qu'il critique, et d'autant plus encensé qu'il accentue le trait. Au Japon, l'auteur a toute liberté pour s'exprimer en son nom propre, il est même sommé de le faire, et nulle «morale» n'intervient dans l'affaire. J'ai évoqué plus haut le rôle de médium de l'écrivain : à travers sa vie et l'exploration de son inconscient personnel, il rend compte de l'inconscient collectif de son peuple, de son époque. Dans l'image reflétée par le miroir de la littérature ? comme dans les rêves, qui parfois nous effraient ?, tout est permis. "

Et plus loin, elle ajoute :  

« Cependant, le temps que mettent les romans, traduits, à arriver chez les libraires français, crée souvent un décalage avec l'actualité japonaise ; ou bien certains lecteurs croient à tort que les ?uvres de Ryû Murakami par exemple reflètent sans exagération la réalité du Japon contemporain.»

Source : http://www.inventaire-invention.com/jet-stream/textes/atlan_frame.html 

En un mot, Murakami Ryu extrapole toujours, mais il reste tout de même ancré dans l'actu. 

Pour ne citer qu'un exemple, au Japon il y a un tabou sur les hikikomori, ces jeunes hommes, qui restent cloîtrés chez eux, parce qu'ils ne veulent plus être confrontés à la société humaine. Parasites, c'est le nom du roman qui traite de ce sujet, raconte l'histoire d'un de ces individus qui un beau jour sort de chez lui et commence à tuer des gens.
Certes tous les ados japonais ne sont pas drogués, écervelés ou otaku au dernier degré, mais il en existe un grand nombre. 

Cependant il y a peut être un autre exemple plus parlant : le 20 mars 1995, un attentat au gaz sarin dans le métro de tokyo, perpétré par la secte Aum, faisait 12 morts et 5 500 blessés. 15 ans après que Murakami Ryu ait décrit ce genre de scène dans un de ces romans.
Plutôt que de dire que la secte Aum lui a pris l'idée, on peut être dire que Murakami Ryu, s'il ne décrit pas fidèlement la société japonaise, décrit son avenir si elle continue sur la voie de la décadence.  

Il est intéressant de constater que les personnes qui connaissent bien l'auteur sont les premiers à dire qu'il ne faut pas prendre les propos de l'auteur pour argent contant, mais je pense qu'il ne faut pas sous-estimer l'acuité de Murakami Ryu pour autant.  

Juste avant d'enfoncer le clou sur les talents d'analyse de Murakami Ryu, je voudrais rappeler que la lecture de ses romans procurent de bonnes expérience de lecture, du moment que le style sombre et déjanté ne dérange pas. Et même si a priori on est pas porté par ce genre, il a le talent de rendre fascinant cet univers en marge. 

IV Les autres publications, ou comment on revient à la charge sur la question de la société japonaise

Murakami Ryu est aussi essayiste à ses heures perdues : 

Il a par exemple écrit en 2004 un «guide des métiers» (non traduit) destiné aux adolescents et à leurs parents inquiets, qui "s'est vendu à plus de 1 million d'exemplaires" (source : L'express), car actuellement la situation japonaise est de plus en plus précaire, comme en France. 

On lui doit également Qu'aurions nous put faire avec l'argent ? (non traduit) qui contient des idées, certains sérieuses, d'autres drôles, sur la façon de dépenser 7 milliards de dollards (des trillions de dollars, ça fait des milliards de dollards en français ?). Pourquoi ce chiffre en particulier ? Cette somme a été investie par le gouvernement japonais, dans les banques japonaise, suite à l'éclatement de la bulle économique, pour les renflouer. Le but du livre est de montrer que les hommes politiciens dépensent l'argent sans compter et sans nous rendre de compte, ce qui là aussi rappèlle le cas de la France. 

Il est entre autre producteur de musique cubaine, mais Murakami Ryu peut tout faire : photographe, présentateur TV etc etc. 

Pour en revenir aux romans, tous les livres de Murakami Ryu ne sont pas publiés seulement chez Picquier. Il existe un recueil de 4 nouvelles, intitulé Topaze, édité par Inventaire/Invention (texte disponible sur Internet), 4 nouvelles totalement réussies ce qui est assez rare dans ce genre de livre. L'une de ces nouvelles, celle qui donne son titre au recueil, a été adapté au cinéma... par Murakami lui-même. 

V Murakami Ryu et le cinéma

Une bonne partie de la filmographie de Murakami Ryu est composé d'adaptation de ses romans : 

Almost transparent Blue 1976/78 (Bleu presque transparent en français)
All Right, My Friend (1983)
Raffles Hotel (1989) 

3 échecs. 

Dans le magazine Lire, à la question "Votre plus grande erreur?", il répond "Avoir passé un contrat avec une grande compagnie de production pour mes trois premiers films. Ensuite, à partir de Tokyo Decadence, j'ai travaillé avec un producteur indépendant." 

Autrement dit il a pu avoir plus de liberté, ce qui a donné lieu à un super film. 

Une de ses nouvelles, Topaze, qu'il a considérablement développé : Sorti en Europe et aux Etats-Unis sous le titre plus vendeur de Tokyo Décadence, raccourci de 30 minutes (édité en France par Films sans frontière), ce film narre les mésaventures d'une callgirl SM qui n'en peut plus de ce travail. 

Grosso modo il réalise ou travaille sur un film tous les deux ans. 

2004 : Son roman autobiographique 1969 est fidèlement adapté par LEE Sang-il sous le titre 69

Dernièrement (1999) il a signé le scénario d'Audition, avec Takeshi Miike à la réalisation (Ichi the Killer, Visitor Q, Dead or Alive), inutile de dire que ces deux trublions sont sur la même longueur d'onde et qu'ils signent un film de bonne facture. 

Quant à l'avenir, en 2008 devrait sortir l'adaptation des Bébés de la consigne automatique, sous le titre Coin locker Babies, avec une inconnue à la réalisation, Michele Civeta, et Liv Tyler, Val Kilmer, Asia Dargento et Tadanobu Asano. On verra bien ce que ça donne.

 

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Commentaires

Bon article, j'ai appris pas mal de choses sur Ryu Murakami.
Mais, même si ils n'évoluent pas forcément dans le même monde - ou en tout cas pas de la même manière - je préfère largement Haruki Murakami qui nous fait nous attacher de manière plus forte à ses personnages que le fait Ryu (même si son génie a pu être démontré de manière significative dans "Les bébés de la consigne automatique").
Quoiqu'il en soit, ça fait toujours plaisir de lire des articles de ce genre, merci Doc =)

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