Mika – Dimanche 02 juillet 2006, à 14:22

Les Coréens aiment leur pays, et alors ?

Le nationalisme possède sa propre définition, vieille de deux siècles et née dans l'Europe colonisatrice. Elle a su évoluer au fil du temps, pour devenir plus moderne, si bien qu'on la confond souvent aujourd'hui avec celle du patriotisme. 

Pour résumer bêtement et simplement l'idéologie nationaliste originelle, disons que chaque pays voulait occuper une place importante dans la hiérarchie mondiale ? en d'autres termes à l'époque : l'Europe. Et pour cela il y avait deux solutions. La première, faire travailler son peuple et rivaliser avec les pays voisins dans le domaine économique. Cela était difficile, car les groupes, classes ou individus acceptaient difficilement de subordonner leurs intérêts particuliers à l'intérêt national. La seconde, profiter des ressources naturelles d'autres pays moins puissants militairement, et se hisser ainsi en haut du podium. C'est naturellement cette solution que les « nationalistes » européens adoptèrent. 

On força donc les autres pays à ouvrir leur économie. Ceux d'Afrique tombèrent rapidement. L'Inde, la Chine, et nombre de pays asiatiques subirent le même traitement. Restaient alors la Corée et le Japon. Les Japonais furent forcés de s'ouvrir à l'Occident en 1854 sous la menace de représailles militaires, et comme leur fierté fut sérieusement touchée, ils décidèrent (avec la plus grande pudeur) de forcer à leur tour les Coréens à s'ouvrir diplomatiquement à leur pays. La Corée qui pendant plusieurs siècles, à la suite d'agressions extérieures ininterrompues (Mongolie [1231-1368], Japon [1592-93 et 1597-98], Mandchourie [1636]) avait décidé de s'isoler du reste du monde ? d'où l'appellation de Royaume Ermite ? se vit contrainte de négocier. Négociations qui ne durèrent qu'un temps, car les Japonais finirent par imposer leur loi, galvanisés notamment par leur victoire sur la Russie en 1905, et leur expansion militaire dans toute l'Asie d'Extrême-Orient et du Sud-Est. 

On en revient alors à notre fameux terme « nationalisme », qui conviendrait mieux aux Japonais. Car des ambitions nationalistes, ce n'est pas ce qui manquait à l'Empire du Soleil Levant. Officiellement, entre 1910 et 1945, la Corée était considérée par les Nippons comme une terre japonaise. Et si en Occident, on parle souvent des horribles manifestations du pouvoir destructif japonais - comme le massacre de Nankin en Chine, ou la surexploitation des terres coréennes ou mandchoues - on aborde beaucoup moins souvent un sujet plus tabou comme celui des femmes de réconfort en Corée. 

Les dossiers présentés à l'ONU par la Corée sur ces abominations n'ont pas été retenus. Le Conseil de Sécurité a la main mise sur les Nations Unies. Par conséquent, les Américains et les Français ne puniraient pas les Japonais d'avoir violé des femmes alors qu'eux-mêmes le faisaient en période de guerre. Le pire dans tout cela, est que le Japon lui-même ne veut rien entendre. Comme si le fait de s'être excusé d'avoir commis nombre de crimes contre l'humanité dans sa période colonisatrice, suffisait à effacer toutes les rancoeurs. 

Qu'on arrête donc une bonne fois pour toutes de dire des Coréens qu'ils sont nationalistes et qu'ils détestent les Japonais. C'est faux, et cela m'exaspère au plus haut point. Tous les Coréens que je connais aiment leur pays, leur patrie, leur langue, leur culture. Ils n'en sont pas pour autant des « nationalistes », terme trop souvent utilisé à la va-vite, sans qu'on ne connaisse réellement son sens. Ils ne m'ont jamais parlé de leur pays comme étant le modèle à suivre dont l'idéologie se devait d'être imposée en dehors de ses frontières. Et ce, contrairement à ce que signalait Akihisa Nagashima, ancien Vice-Ministre japonais de la Défense, qui disait fin 2004 : « Depuis la guerre du Golfe, Tokyo a compris la nécessité d'utiliser ses Forces d'Auto Défenses sur des théâtres d'opérations extérieurs ». Il confiait également que l'opinion publique japonaise était prête à accepter l'idée d'une révision constitutionnelle qui permettrait au Japon de regagner une armée pouvant frapper avant d'être frappée. Une sorte de défense préventive, un peu à l'image de ce que les Etats-Unis sont prêts à faire en Iran. 

Mais la plus grande méprise lorsque j'entends parler des relations coréano-japonaises, c'est quand on dit des Coréens qu'ils haïssent les Japonais. Comme si ça n'allait que dans un sens, et que la Corée cultivait une haine que nos bons Japonais, inaptes à pouvoir contrôler, tentent de calmer en jouant un rôle de médiateur. 

Calmez-vous chers amis coréens, nous savons que vous avez souffert. Nous nous sommes excusés ? de ce dont les Américains nous demandaient de nous excuser ? donc cessez de nous détester, nous qui vous considérons comme des voisins, des frères. Bien entendu il est hautement improbable ? pour ne pas dire impossible ? que l'on renomme un jour la mer du Japon en mer de l'Est ou que l'on reconnaisse avoir violé vos femmes, mais nous n'en demeurons pas moins un puissant allié économique dont vous ne pouvez vous passer.

C'est exactement le genre de discours que le Français moyen s'intéressant à l'Extrême-Orient a en tête. Selon lui le Japon s'est excusé et les Coréens ont tort de lui en vouloir encore aujourd'hui. Il faut s'ouvrir, et regarder devant, pensent-ils. Mais comment regarder devant soi, si des cicatrices restent ouvertes et que du sang s'écoule de ces plaies à flots ? Comment regarder devant soi si le passé est responsable de la division de la Corée ? Enfin comment regarder devant soi quand l'ancien ennemi qui a autrefois pompé ressources et tué frères et amis, vit aujourd'hui sereinement, alors que les Coréens sont de leur côté dans l'angoisse permanente de vivre une nouvelle guerre fratricide ? C'est impossible et c'est la raison pour laquelle on ne peut pas reprocher au peuple coréen d'en vouloir à son voisin nippon. Si l'homme est idiot car il oublie vite son histoire, je dis que le Coréen est un surhomme et qu'il n'oubliera pas la sienne. Ce n'est en rien un mal, car dans chaque société, ceux qui ne connaissent pas l'histoire sont condamnés à en répéter les erreurs. 

En définitive, comme le disait si bien Victor Hugo à travers cet aphorisme que j'adresse à tous les Coréens : 

« Pardonnez tout, n'oubliez rien. ».

 

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