Docteur Spider – Dimanche 20 octobre 2013, à 21:11

Kang Je-Gyu, interview exclusive

Pour sa cinquième édition, le Festival de Film Coréen de Strasbourg a invité deux réalisateurs de renom : JEON Soo-il, et KANG Je-gyu. Le premier est un réalisateur indépendant, le second fait des blockbusters. Deux cinémas a priori très différents. Nous avons donc profité de leur présence pour les interviewer. Après la séance de My Way, nous avons pu questionner Kang Je-Gyu sur sa façon de faire des films.  

Chers lecteurs, vous découvrirez dans les lignes qui suivent que le réalisateur a passés quatre ans à Hollywood pour financer un film de SF américain, que son prochain film se passera... en France !, et bien plus encore 

ShoShoSein : Depuis Shiri, vous ne réalisez que des films de guerre ou d'espionnage sur le thème de la relation entre les deux Corée, est-ce que vous avez envie d'explorer d'autres registres ? 

Kang Je-Gyu : Après avoir fait Frères de sang, je m'étais dit que je ne ferais plus de film de guerre, car c'est beaucoup trop éprouvant physiquement et psychologiquement. Frères de sang et Far Away, on peut effectivement les qualifier de films de guerre, mais ceux-ci ont un style très différent. Mon prochain film aura pour décors l'Exposition Universelle de 1900 qui avait eu lieu à Paris. Une troupe d'artistes coréens y étaient présente. Ce sera un drame, avec une tonalité plus légère que dans mes films précédents. Aujourd'hui, j'ai une étiquette de réalisateur de film de guerre. Je veux montrer que je n'ai pas un style prédéfini. Ce que j'aime dans le cinéma, c'est qu'il n'a pas de limite. Je veux nager librement dans cette mer qu'est le cinéma et aller dans toutes les directions.  

SSS : Lors de la présentation que vous avez faite après la projection tout à l'heure, vous avez dit que vous aviez un autre projet de film quand on vous a proposé My Way. De quoi s'agissait-il ?  

KJG : Il s'agissait d'un film de science-fiction, intitulé Jonas. J'ai été quatre ans aux États-Unis afin d'essayer de le mener à bien. 

SSS : Vous avez été quatre ans aux États-Unis ? Vous voulez dire que vous y êtes allé ponctuellement sur une durée de quatre ans ? 

KJG : Non, j'ai vécu quatre années aux USA, avec ma famille. Mais le projet n'a pas pu aboutir à cause de désaccords avec la maison de production hollywoodienne.  

SSS : Quels sont les problèmes que vous avez rencontrés ? 

KJG : Les problèmes étaient de deux sortes. D'une part le budget : La production de Jonas était estimée à 70 millions de dollars. Or aux États-Unis, il existe trois catégories de films : les films à gros budgets (plus de 70 millions de dollars), les films à petit budget (moins de 30 millions). Entre les deux, on ne finance pas les projets. D'autre part, il y avait un problème avec le scénario. Hollywood trouvait que le film ne correspondait pas aux attentes du public américain, qu'il était trop compliqué. On m'a donc demandé de faire beaucoup de changements pour rendre le film plus accessible. Le scénario a tellement été réécrit qu'à la fin il n'avait plus aucun rapport avec mon projet de départ, ce qui n'était pas acceptable. J'ai donc été en conflit pendant plusieurs années avec Hollywood. Mon agent aux USA m'a aussi conseillé de faire un film dont le scénario était déjà validé, que je n'aurai plus qu'à réaliser. J'ai eu entre les mains plus de 50 scripts, mais aucun ne m'a plu.  

SSS : Après l'immense succès coup sur coup de Shiri et Frères de sang, pourquoi vous êtes vous tourné vers Hollywood ?  

KJG : J'avais le projet de faire un film au budget de 70 millions de dollars, ce qui est impossible en Corée. En 2011, avec My Way, j'ai déjà battu tous les records, avec un budget de 26 millions, qu'on a d'ailleurs dû co-produire avec la Chine et le Japon.  

SSS : Maintenant, j'aimerais revenir sur votre travail d'auteur, et vous poser des questions sur vos choix de films, votre indépendance etc. Pour en revenir à Jonas, c'était votre scénario ?  

KJG : Oui, c'est moi qui avais écrit le scénario. Vous savez, avant d'être réalisateur, j'étais scénariste.  

SSS : Est-ce qu'il arrive qu'on vous propose des scénarios ?  

KJG : Je reçois assez peu de scénarios, car je suis connu pour être un réalisateur qui écrit les siens.  

SSS : Donc vous en recevez quand même ? 

KJG : Oui, mais peu par rapport aux autres réalisateurs à succès. 

SSS : Pourquoi, avez-vous monté votre propre maison de production, Kang Je-Kyu Film Co. Ltd. ? 

KJG : J'ai monté ma maison de production afin d'avoir mon indépendance, car j'étais intransigeant, je ne voulais pas faire de concession et avoir un contrôle total sur mon travail. Mais aujourd'hui, je me suis rendu compte en prenant du recul que dans mon travail de création de production de films, j'avais besoin d'être accompagné. Donc avoir recours à d'autres producteurs comme avec My Way, ce n'est pas seulement une question d'argent, mais ça permet d'avoir des avis extérieurs. 

SSS : Du coup, jusqu'où interviennent les producteurs dans la création artistique ?  

KJG : Les producteurs interviennent principalement sur deux points : le budget et la durée des films. Sur le budget, c'est simple, on a un budget qu'on ne peut pas dépasser. Pour la durée, avec le sujet de My Way par exemple, j'aurai pu faire un film extrêmement long. Les producteurs m'ont donné comme impératif de ne pas faire plus de deux heures. Je leur ai répondu que c'était impossible, ils m'ont alors dit de faire 2h10. Finalement, j'ai tout de même dépassé le temps prévu, puisque le film fait 2h17. À cause de cette contrainte, je n'ai pas pu développer tout ce que j'aurais aimé. À part sur ces deux aspects, les producteurs n'interviennent pas sur le film en lui-même.  

 

SSS : Avec l'échec commercial et critique de My Way en Corée, est-ce que ça va être dur de financer votre prochain film ? 

KJG : Pour le moment, je garde la confiance des investisseurs, car ils savent que si le film n'a pas marché, ce n'est pas à cause du réalisateur, mais parce que le public ne l'a pas apprécié. Les producteurs, étaient satisfaits du film. D'autre part, je garde la confiance du public, qui me voit toujours comme un réalisateur de qualité. Pour mon prochain film, je dispose donc d'un budget conséquent.  

SSS : D'ailleurs, d'où vous vient cette idée de faire un film sur cette troupe d'artiste coréen présents à l'expo universelle de Paris 1900 ? 

KJG : Mon idée de départ était de faire quelque chose à propos des gisaeng. Comme pour les geishas, il ne s'agit pas que de plaisir. C'étaient de femmes qui recevaient une éducation, notamment musicale. Il y avait donc une école où ces femmes apprenaient leur métier, une sorte de lycée de jeunes filles. Ces femmes sont venues à Paris, lors de l'exposition universelle de 1900. Ce voyage en France devait être l'épilogue du film. Finalement ça va être le coeur de l'histoire. Je garde cette idée d'école de gisaeng pour faire peut-être un autre film... 

SSS : De l'exposition universelle de 1900, il ne reste plus guère que le Grand Palais. Comment allez-vous tourner votre film ? Allez-vous le tourner en Corée et avoir recours aux effets spéciaux ?  

KJG : Avec notre budget, il n'est pas possible de tourner en France. Il faut que nous trouvions une autre ville d'Europe qui soit moins chère. Il s'est passé la même chose avec My Way : pour la partie en Normandie, nous avions envisagé l'Irlande, mais ça aurait fait tripler le budget du film, on a donc tourné en Europe de l'est.  

SSS : Monsieur Kang Je-Gyu, nous vous remercions du fond du coeur pour le temps que vous avez bien voulu nous accorder pour répondre à nos questions.  

KJG : C'est moi qui vous remercie. 

Un grand merci à Jung Ki-heun, organisateur du Festival de Films Coréen de Strasbourg, sans qui cette interview n'aurait pu avoir lieu, et qui a bien voulu traduire nos questions, et les réponses du réalisateur.

 

Filmographie de Kang Je-Gyu :
1996 : Gingko Bed
1999 : Shiri
2004 : Frères de sang
2011 : My Way

 

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